vendredi 18 février 2011

Critique...


ROMAN

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S'immerger dans une ville inconnue, observer les visages, se laisser pénétrer par des fragrances singulières et, parfois, goûter à la peau d'une créature au sexe indécis : voici Michel-Ange, le grand artiste de Florence, qui, en mai 1506, débarque à Constantinople. Il est venu à l'invitation du sultan pour construire un pont qui enjambera la Corne d'Or. Le Florentin est un peu perdu, maladroit à observer le protocole quand il rencontre le grand vizir entouré de ses janissaires, méfiant à l'égard des puissants, devant lesquels il faut toujours s'abaisser. Ce n'est pas nouveau : face au pape Jules II, pour lequel il a conçu un mausolée, il a déjà dû se comporter ainsi.

A Constantinople, il dispose d'un atelier, d'une poignée de dessinateurs et d'ingénieurs. Et il attend que la vision du pont lui apparaisse, laissant l'inspiration lui dicter des dessins de chevaux, d'astragales ou de cet animal curieux qu'on appelle éléphant. Il trace des mains aussi, qui trahissent la fidélité ou le désir. Michel-Ange s'ennuie, doute, s'emporte, habitué à se méfier de ceux qui l'entourent, lui qui sait d'expérience combien les complots et les jalousies peuvent soudain surgir. Il est d'un autre monde, d'une autre culture, et n'est réellement à l'aise que penché sur ses carnets. Ni l'amitié d'un poète, ni l'ondoiement d'un corps de danseuse qui s'offre à lui, ni le vin capiteux des tavernes, ni même les promesses d'argent ne parviennent à le rassurer. L'artiste attend, et semble se confier au lecteur.

C'est un voyage merveilleux auquel nous convie l'auteur, rythmé par les clameurs et les chuchotements, baigné de couleurs et de parfums. L'écrivain Enard observe l'artiste Michel-Ange, respecte ses silences et ses hésitations, le suit dans les ruelles sinueuses et s'en fait un discret complice. Et l'écriture est comme le dessin : tantôt sensuelle comme les clairs-obscurs, tantôt tranchante comme la pierre aiguisée.

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