Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants de Mathias Enard aux éditions Actes Sud
Là où d’autres s’appuient sur une documentation détaillée et le font savoir, Mathaias Enard utilise un fait historique peu connu (il serait plus exact d’écrire un fait que je ne connaissais pas) : Michel Ange, qui n’est pas encore couvert de gloire, rencontre quelques difficultés avec le pape Jules II. On lui propose alors d’aller se faire voire à Constantinople, à la demande du grand sultan, qui aimerait bien le voir construire un pont pour relier les deux rives. Il reste quelques traces de cette visite, « pour le reste, on n’en sait rien », comme l’écrit Mathias Enard. N’étant pas romancier pour rien justement, il fait de cette ignorance des détails le motif de son roman qui raconte donc ce voyage en un peu plus d’une centaine de pages, en une succession de chapitres très courts. A l’image des croquis et des listes que fait Michel Ange là-bas ? Et c’est formidable, le genre de livre à vous faire oublier que vous avez mal à la tête dans le wagon d’un TGV qui vous ramène à Paris après quelques jours de congés (toutes ressemblances avec la vie du lecteur ne serait pas fortuite).
C’est un portrait très réussi de Michel Ange. Ignorant tout de la vie de ce dernier, j’ignore si les éléments biographiques cités sont juste ou non. En tout cas, ils font vrai, plus vrai que le vrai. Ce que Enard réussit c’est à faire partager la vie d’un homme de la Renaissance, qui découvre un monde assez éloigné du sien. Par exemple, le roman montre très bien la tension entre le Michel Ange démiurge et l’artiste, homme de Foi terrorisé par l’idée de péché et d’enfer. Le Michel Ange d’Enard est un homme de tensions, de contradictions, ce qui ne lasse d’étonner quand on pense à l’harmonie de son oeuvre. Mais revenons au roman, loin d’être un homme abstrait, le florentin décrit dans le roman est un être de chair. Le plus réussi du livre vient de l’univers sensoriel découvert par le génial sculpteur du David. On a l’impression d’être à ses côtés, d’éprouver les sensations ressenties par Michel Ange (rappelons que rien ne dit qu’il a ou non éprouvé ce qui est raconté dans le roman).
C’est aussi le portrait d’un homme dans toutes ses contradictions qui est dressé ici : sa rivalité avec son aîné Léonard de Vinci, son orgueil et son ambition ne sont pas ignorées… Tout comme ses problèmes d’argent : on croirait lire des lettres d’écrivains réclamant des à-valoir à leur éditeur !
Et si le pont sera construit, mais soumis aux caprices de la Nature, Michel Ange trouvera sur place une source d’inspiration qui nourrira la suite de son oeuvre, à commencer par le Vatican..
Le récit alterne le travail créatif, la façon dont Michel Ange s’est peu à peu imprégné de l’ambiance de Constantinople et une sorte de monologue tenue par un ou une stambouliote, une jolie variation sur les 1001 nuits.
Quand à l’écriture, elle est classique et élégante, d’une grave poésie. Deux exemples vaudront mieux qu’un long discours : « Et, plus que tout, le dessin, la blessure noire de l’encre, cette carresse crissant sur le grain du papier ». « La vérité c’est qu’il n’y a rien d’autre que la souffrance et que nous essayons d’oublier dans des bras étrangers que nous disparaitrons bientôt ».
Pour résumer, je cours chez un libraire acheter la version de poche de Zone (la fameuse phrase de 500 pages) : Mathias Enard est à suivre de très près. Son Michel Ange m’a fait penser au Xénon de Marguerite Yourcenar…. Pardon pour la référence écrasante….
Chronique réalisée par Christophe Bys
( http://chroniquesdelarentreelitteraire.com/2010/08/roman-francais/parle-leur-de-batailles-de-rois-et-delephants-de-mathias-enard )
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