mardi 29 mars 2011

Mathias Enard : Historien ou Ecrivain ?

Dans son livre « Parlez leur de batailles de rois et d’éléphants », Mathias Enard raconte
l’histoire - réelle ou fictive – de Michel Ange lors de la création du pont de la Corne d’or.

Représentation de Constantinople au XVIème siècle

Dans un empire Ottoman sous influence artistique italienne lors de la Renaissance, Michel
Ange fait son apparition à la demande du sultan Bajazet. Le célèbre auteur du David de
Florence accepte cette proposition, pour fuir Jules II, le pape guerrier , à qui il devait dessiner les plans de son tombeau. Il consentit de plus à la demande de Bajazet pour prouver un talent supérieur à celui de son rival Léonard de Vinci, qui a lui-même proposé ses propres plans de ce même pont à Bajazet qui furent d’ailleurs refusés. L’histoire est supposée se dérouler en 1506 et conte l’aventure mystérieuse, poétique et surprenante de ce génie au cœur de la l’ancienne capitale byzantine, à cheval sur deux continents.

http://www.leglobelecteur.fr/index.php?post/2010/08/27/Mathias-Enard-Parle-leur-de-batailles%2C-de-rois-et-d-%C3%A9l%C3%A9phants

Ce roman mêle récits et poésies, ce qui donne un style que l’on retrouve peu dans la littérature. Mathias Enard décrit avec passion une capitale multiculturelle sous le soleil de l’orient. En retraçant cette période inconnue de la vie de Michel-Ange, l’auteur, par cette entreprise audacieuse, nous charme à l’aide de ce style unique, original et parlant à chacun. Cet expert en langues arabes a très certainement étudié le cadre culturel de Constantinople en ce début de XVIe siècle, âge d’or de l’art italien pour nous en peindre un tableau si précis. Mathias Enard ressuscite l’orient du 16eme siècle en utilisant le champ lexical des cinq sens :

« La nuit ne communique pas avec le jour. Elle y brûle. On la porte au bûcher à l’aube. Et avec elle ses gens, les buveurs, les poètes, les amants. Nous sommes un peuple de relégués, de condamnés à mort. Je ne te connais pas. Je connais ton ami turc ; c’est l’un des nôtres. Petit à petit il disparaît du monde, avalé par l’ombre et ses mirages ; nous sommes frères. Je ne sais quelle douleur ou quel plaisir l’a poussé vers nous, vers la poudre d’étoile, peut-être l’opium, peut-être le vin, peut-être l’amour ; peut-être quelque obscure blessure de l’âme bien cachée dans les replis de la mémoire.
Tu souhaites nous rejoindre.
Ta peur et ton désarroi te jettent dans nos bras, tu cherches à t’y blottir, mais ton corps dur reste accroché à ses certitudes, il éloigne le désir, refuse l’abandon.
Je ne te blâme pas.
Tu habites une autre prison, un monde de force et de courage où tu penses pouvoir être porté en triomphe ; tu crois obtenir la bienveillance des puissants, tu cherches la gloire et la fortune. Pourtant, lorsque la nuit arrive, tu trembles. Tu ne bois pas, car tu as peur ; tu sais que la brûlure de l’alcool te précipite dans la faiblesse, dans l’irrésistible besoin de retrouver des caresses, une tendresse disparue, le monde perdu de l’enfance, la satisfaction, le calme face à l’incertitude scintillante de l’obscurité. Tu penses désirer ma beauté, la douceur de ma peau, l’éclat de mon sourire, la finesse de mes articulations, le carmin de mes lèvres, mais en réalité, ce que tu souhaites sans le savoir, c’est la disparition de tes peurs, la guérison, l’union, le retour, l’oubli.
Cette puissance en toi te dévore dans la solitude.
Alors tu souffres, perdu dans un crépuscule infini, un pied dans le jour et l’autre dans la nuit. »

Ou encore


« "Je sais que les hommes sont des enfants qui chassent leur désespoir par la colère, leur peur dans l’amour ; au vide, ils répondent en construisant des châteaux et des temples. Ils s’accrochent à des récits, ils les poussent devant eux comme des étendards ; chacun fait sienne une histoire pour se rattacher à la foule qui la partage" ».



La narratrice de cet extrait est une danseuse qui s’exprimera de cette façon poétique à plusieurs reprises dans le livre. Michel-Ange, le personnage principal, la décrira comme un être à part, entre les deux sexes, et d’une extrême beauté. Un grand mystère enveloppe ce personnage suscitant la fascination qui sera lié indirectement à Michel-Ange. Le récit de Mathias Enard contient une affinité avec les arts tels que la musique ou l’architecture :


“Petit à petit, assis en tailleur sur ses coussins, Michel-Ange se sent envahi par l'émotion. Ses oreilles en oublient la musique, alors que c'est peut-être la musique elle-même qui le plonge dans cet état, lui fait vibrer les yeux et les emplit de larmes qui ne couleront pas ; comme dans l'après-midi à Sainte-Sophie, comme chaque fois qu'il touche la Beauté, ou l'approche, l'artiste frémit de bonheur et de douleur mêlés“.



On ne peut pas parler de « Parle-leur de batailles de rois et d’éléphants » sans citer le plus fidèle compagnon de Michel-Ange pendant cette période de sa vie : Mesihi. Ce poète débauché le guida à travers cette aventure que nous conte si bien Mathias Enard. Le poète était surnommé « le fils de la ville », et doit son nom au fait qu’il courait plus les tavernes qu’il ne travaillait. Ce protégé d’Ali Pacha est connu comme l’un des poètes les plus originaux de son époque, et Mathias Enard le met en scène de façon étonnante. Il entretient avec Michel-Ange une relation étroite, mystérieuse et profonde.

"Il a sacrifié son amour une dernière fois, sans rien espérer en retour (...) Il pleure souvent; seule l'arrivée de la nuit et de la débauche lui apporte un peu de réconfort"


Ce qui est important à préciser dans ce texte est le rôle du titre. « Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants » sera expliqué par la danseuse dans cet extrait si poétique, sûrement le plus poétique de ce récit :


« Je sais que les hommes sont des enfants qui chassent leur désespoir par la colère, leur peur dans l’amour ; au vide, ils répondent en construisant des châteaux et des temples. Ils s’accrochent à des récits, ils les poussent devant eux comme des étendards ; chacun fait sienne une histoire pour se rattacher à la foule qui la partage. On les conquiert en leur parlant de batailles, d’éléphants, de rois et d’êtres merveilleux ; en leur racontant le bonheur qu’il y aura au-delà de la mort, la lumière vive qui a présidé à leur naissance, les anges qui leur tournent autour, les démons qui les menacent, et l’amour, l’amour, cette promesse d’oubli et de satiété. » (p.66)


Ce roman n’aurait put être si réaliste si l’auteur n’avait pas étudié le décors en utilisant ses connaissances non seulement dans la langues mais il également vécu au Moyen Orient pendant un temps. Ce roman est assez facile à lire et captive le lecteur en mêlant poésie, roman et récit historique.



Paul d’Annoville Clément Lamy Antoine de Vergzac

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