lundi 28 mars 2011

Critique


Parle-leur de batailles de rois et d’éléphants, la vinaigrette de la littérature par excellence ?




Quoi de meilleur qu’une bonne vinaigrette où la moutarde lie parfaitement deux éléments opposés, tels que l’huile et le vinaigre ?


Parle-leur de batailles de rois et d’éléphant, paru l’année dernière et primé au prix Goncourt des lycéens est le dernier roman en date de Mathias Enard, grand voyageur et polyglotte accompli. Il met en scène la venue de Michel-Ange, alors peu connu, à Constantinople dans l’optique de concevoir un pont désiré par le Sultan Bajazet. Tout en réalisant les plans, Michel-Ange découvre, dans sa nouvelle vie, une ville ouverte sur deux cultures, deux religions, deux civilisations, deux modes de vie, et prend conscience de l’importance du pont, dont le rôle, comme celui de la moutarde, serait de lier tous ces aspects de la ville différents voire opposés.


La vie de Michel-Ange n’étant que partiellement connue -au XVIème siècle la réputation des artistes primait sur l’exactitude historique- , Mathias Enard a eu la possibilité de réécrire une partie de sa vie, en y intégrant de nouveaux personnages grâce à la richesse de son travail de documentation. Totalement inventés, comme la danseuse andalouse, ou existants réellement, tel le poète Mesihi, ces rencontres vont aider Michel-Ange dans la réalisation de ce nouveau défi artistique.


Le pont que Michel-Ange est donc en charge de réaliser représente toute une symbolique autour du lien, d’un certain clivage, d’un mélange. Mathias Enard a su réinvestir ce thème du mélange tant au niveau de la forme de son œuvre que du fond, ou même au niveau des impressions qu’il parvient à procurer au lecteur.




Il est vrai que le roman Parle-leur de batailles de rois et d’éléphants, n’est pas un roman banal puisque Mathias Enard a réussi à mélanger différents genres littéraires. Bien qu’il se base sur le personnage réel de Michel-Ange, il arrive à intégrer des éléments fictifs : ainsi le lecteur ne sait plus ce qui est réel et ce qui ne l’est pas. Mathias Enard a réussi à trouver un juste milieu entre fiction et réalité, à tel point que nous ne savons plus s’il s’agit d’un roman historique ou d’une biographie romancée. Il nous l’explique d’ailleurs dans la note finale de son livre, page 153-154 « Quant à l’affaire qui nous intéresse ici, voici donc ce que l’on peut facilement retracer : (…) Pour le reste, on n’en sait rien. ».


A ce mélange s’ajoute également une diversité de styles ; alors que certains passages sont basés sur les actions et les pensées des personnages avec des points de vue changeants, d’autres sont des passages épistolaires. L’intégration de ces lettres parvient à rythmer le livre même si elles laissent parfois le lecteur dans le vague, elles nous permettent également de nous rendre compte des relations que Michel-Ange avait avant le début du livre puisqu’il envoie des lettres à sa famille restée en Italie. Par exemple page 39 « Constantinople, 19 Mai 1506. A Buonarroto Di Lodovico Di Buonarrota Simoni In Firenze (…) ».


Mais Mathias Enard ne s’arrête pas là et intègre aussi des passages poétiques qui donnent au roman un côté léger, lyrique et presque mystique, à travers les vers inventés et chantés par l’esclave Andalouse à Michel-Ange quand celui-ci est dans ses bras. Le lecteur peut également apprécier des poèmes de Mesihi que Mathias Enard, loin de les imaginer, a repris au véritable poète.



En ce qui concerne les registres, on peut dire, de par les faits historiques, que ce roman présente –entre autre- un registre réaliste. L’action est incontestablement ancrée dans la réalité, des dates précises et des évènements réels nous le prouvent ainsi que de nombreuses descriptions de Constantinople : « Durant le reste de la matinée, sur les quais, autour de la porte, dans les remparts de la ville et jusqu’au milieu du port, où on les promène en barque, Michel-Ange et les ingénieurs observent et mesurent. Le sculpteur florentin contemple le paysage, la colline fortifiée de Péra, de l’autre côté de la Corne d’Or, la gloire de Stanbul qui lui fait fasse (…) » page 54. Mais d’autres registres viennent s’y mêler comme le registre pathétique et tragique incarnés par Mesihi qui n’ose révéler à Michel-Ange son amour pour lui et pour qui le seul moyen d’oublier est de se plonger dans l’alcool « Il a sacrifié son amour une dernière fois, sans rien espérer en retour (…) Il pleure souvent ; seule l’arrivée de la nuit et de la débauche lui apportent un peu de réconfort. ».


Par le mélange de tous ces genres et registres, Mathias Enard a su créer un support reflétant l’histoire qu’il a voulu imaginer. La forme est ainsi à l’image du fond.




Michel-Ange se voit confier la dure tâche de concevoir les plans d’un pont, mais le but poursuivi par le Sultan avec la réalisation de cet ouvrage est si particulier que la conception en devient une véritable épreuve. En effet, ce pont se doit d’être plus qu’un simple lieu de passage : il sera non seulement un carrefour des civilisations, mais également un lieu de rencontre entre Chrétiens et Musulmans ainsi qu’Occident et Orient. « Le pont sur la Corne d’Or doit unir deux forteresses, c’est un pont royal, un pont qui, de deux rives que tout oppose, fabriquera une ville immense » (page 35) Cet ouvrage sera militaire, commercial, religieux et politique.. Mathias Enard exploite cette rencontre en réalisant une immersion complète dans cette ville qui à l’image de ce futur pont est cosmopolite.


Cet espace est tout d’abord une rencontre entre deux cultures, comme nous les prouvent les marchandises arrivant par delà les mers et les océans : « huile de Mytilène, savons de Tripoli, riz d’Egypte, mélasse de Crète, tissus d’Italie, charbon d’Izmit, pierres du Bosphore » (page 54). Un endroit où les animaux domestiques peuvent être aussi bien des chiens que des singes, et où l’on joue du tambour basque et de la mandoline tout comme de l’aud et du saz déconcerte Michel-Ange qui se rend compte de l’essence pluriculturelle de la ville.


En ces périodes troubles où la religion déterminait bien souvent la vie d’un individu, Constantinople faisait figure d’exception et de modèle : Sainte Sophie qui était le centre de la chrétienté côtoyant les mosquées et leurs muezzins en toute harmonie en était la preuve. La tolérance était de mise envers les chrétiens tout comme envers les juifs chassés d’Espagne.


Cette ville comme vous l’aurez compris est donc un lieu de rencontre entre deux cultures, deux religions mais également entre l’art byzantin et l’art de la renaissance. C’est donc une ville où s’entremêlent artistes italiens et peintre byzantins, juifs et musulmans, orient et occident. Ce lieu symbolique fait ainsi douter Michel-Ange : «La matière de la ville lui est si obscure » (page 65), Constantinople est mystérieuse, difficile à cerner.




Dans Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants, Mathias Enard nous fait voyager. Il parvient à convaincre le lecteur de suivre Michel-Ange tout au long de son périple. En effet, grâce à son style d’écriture et à la justesse de ses mots, le lecteur accroche et ressent les émotions ainsi que les sentiments du personnage. Le lecteur voyage et vie avec lui dans un Constantinople cosmopolite où Andalous, Italiens, Chrétiens, Juifs, Levantins, tous sont acceptés, tous sont mélangés.



Mathias Enard dresse le portrait de la très belle ville de Constantinople. Une ville où brillent des couleurs éclatantes. L’auteur, ayant voyagé et séjourné au Moyen-Orient retranscrit parfaitement ce mélange de couleurs. « cipolin, ophite, sérancolin, serpentin, cannelle, dauphin, porphyre, brocatin, obsidien, cinatique. Que de noms, de couleurs, de matières, alors que le plus beau, le seul qui vaille, est blanc, blanc, blanc, sans veines, rainures ni colorations. Le marbre lui manque » (page 68). Cette citation nous permet de rappeler que Michel-Ange est avant tout un sculpteur, et que le marbre qu’il utilise pour ses œuvres lui manque. Pour lui, le blanc représente la douceur dans la clarté. Le blanc symbolise aussi la lumière. Mathias Enard utilise joue beaucoup sur les effets de luminosité dans son roman. En effet, la lumière est omniprésente : « une tache de lumière tombe sur son épaule tordue par l’effort » (page 78), « il voit qu’on apporte de la lumière, il entend qu’on l’appelle » (page 134), « il lui reste une vague lumière, une douceur subtile mêlée d’amertume » (page 151). L’auteur contraste cette luminosité éclatante avec des couleurs obscures : « Et, plus que tout, le dessin, la blessure noire de l’encre, cette caresse crissant sur la grain du papier » (page 65), « la Corne d’Or se perd dans des méandres de brume obscure et, à l’est, le Bosphore dessine une barrière grise dominée par les épaules sombres de Sainte-Sophie, gardienne du fossé qui les sépare de l’Asie » (page 84), « Le noir presque complet » (page 95), « le noir damas est extraordinairement beau » (page 103). Le contraste de ces deux extrêmes est représenté par l’expression « l’incertitude scintillante de l’obscurité » page 11. De plus, la couleur rouge jalonne le récit : «pourpre » (page 36), « rehauts de rouge » (page 100). Pour finir, le lecteur a l’impression que les couleurs de Constantinople donnent l’inspiration à Michel-Ange pour ses œuvres futures : « Son regard est transformé par la ville et l’altérité ; des scènes, des couleurs, des formes imprégneront son travail pour le reste de sa vie » (page 91).



La musique et le chant sont des thèmes que l’on retrouve souvent dans ce roman. Michel-Ange puise ses ressources notamment dans la musique : « il aimait tâter du vin, de la poésie et de la musique » (page 12). Tout au long de son parcours la musique va accompagner l’artiste : « fasciné par la voix puissante qui s’envole dans les aigus […] commenter le chant » (page 48), « puis viennent la musique et le chant » (page 89), « un chant divin » (page 91). Chaque description de mélodie nous entraine dans une atmosphère paisible. La musique est harmonieuse avec des instruments comme « un luth, une mandore et une viole […] accompagnés d’un tambour » (page 42).



Si cet ouvrage est plaisant à lire, c’est grâce à cette alchimie entre ces deux univers, ces deux mondes. En effet Mathias Enard ne s’est pas contenté de présenter deux cultures, mais les a réellement mélangées, s’appuyant également sur la forme de son roman. La symbolique du pont prend alors toute son importance, d’où l’image de cette vinaigrette si bien réalisée, aux bonnes proportions dues au mélange parfait de ces ingrédients pourtant si différents. Finalement le « personnage » principal du livre n’est-il pas Constantinople elle-même ? Evidemment, le lecteur s’interroge : 500 ans plus tard, Constantinople est devenue Istanbul mais son rôle a-t-il réellement changé ?



ALLARD Adrien


MARCHADIER Thibault


POIRIER Aurélie


RIVALLAIN Manon



1èreES.4


Mme FEKI


Lycée Jacques Monod


46 rue du Fort


92140 CLAMART


France - Europe

1 commentaire:

  1. bonjour, je me nourris de cette merveille de Mathias Enard, que j'aimerais bien rencontrer un jour pour lui parler de la Mauritanie par exemple. Page 27 il est question de "dauphins" : est ce une roche ? Quelqu'un peut il m'aider ? Merci d'avance, cordiales salutations, www.christineb.fr

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