dimanche 20 mars 2011

Article critique


Parle-leur de batailles de rois et d’éléphants

À la croisée du monde de la poésie, et de celui du roman.
Mathias Enard dans son livre présente le lien ténu entre l'Histoire et la poésie, lien d'une richesse particulièrement attrayante, vivante et irréelle à la fois, mêlant sentiment et violence, jalousie et admiration... Ces éléments ajoutés au contexte historique, contribuent à forger un livre basée sur un fait exact. Ce roman se déploie savamment en mettant ainsi en lumière quelques semaines oubliées des hommes, décrivant de troublantes esquisses et quelques rêves brisés, en transportant le lecteur par delà les mers, avec une facilité déconcertante…

A l’aube de la poésie persane
Mathias Enard, dans son livre , fait renaître maintes fois cette poésie, dont le sujet premier tient autant à cette musicalité qu’à la philosophie, de manière subtile et envoûtante, où il y retranscrit deux aspects de cet art. D’une part, la présence de poètes historiques dont le rôle est de contribuer à la réalisation d’un aspect bien vivant des personnages, avec pour exemple le poète Mesihi :
« Le poète subtile et original, maître du renouveau de la poésie ottomane, dont les vers inspireront des centaines d’imitateurs. ». (p 93)
D’autre part, les contes et les poèmes qui nous sont murmurés tout au long du roman nous font découvrir l’art persan, comme le stipule les vers page 94,
« Je ne cesse de désirer que lorsque mon désir est satisfait,
Que ma bouche atteint la lèvre rouge de mon amour,
Où mon âme expire dans la douceur de son haleine.
Et tu invoqueras toujours le nom de Hafiz en compagnie des tristes et des cœurs brisés. »
Ces insertions de personnages réels et de contes des mille et une nuits donnent un souffle de vie non-négligeable à l’ouvrage :
« C’est l’histoire très ancienne d’un pays aujourd’hui disparu...» (p. 96)
L’auteur a donc fait en sorte que la poésie détienne une place prépondérante dans cette intrigue. C’est pourquoi l'écrivain introduit au cœur de l’ouvrage une jeune chanteuse, surnommée « L’Andalouse », qui, en ensorcelant Michel-Ange, va entrebâiller la porte du caractère poétique, sans pour autant que ce dernier fasse partie intégrante du livre. Les paroles de cette femme relatent ses propres sentiments dans de longs monologues, décrivant Michel-Ange de son horizon oriental, comme un homme occidental emprisonné dans son propre art, sous la contrainte des grands du monde. Mathias Enard reconquiert donc la poésie persane, avec un nouveau style, qui va malgré tout à l’encontre de la tradition orale. Ainsi, il détourne cet art oriental, à des fins littéraires, qui conduisent son récit de bout en bout.

Poussée par le souffle de la mystique Constantinople
L’intrigue de l’ouvrage se déroule sur les rives du Bosphore, aux côtés de la basilique Sainte Sophie, capitale de l’Empire ottoman. Cette ville au passé lourd d’histoire, dont les noms divers et variés, Byzance, Constantinople, puis Istanbul forment l’essence même de la capitale, est un cadre idéal pour une rencontre entre différentes ethnies. Cette atmosphère orientale et riche en épices permet d’effacer le côté presque fade de l’occident apporté par Michel-Ange. Effectivement, les descriptions introduisant Constantinople, regorgent de senteurs parfumées, permettant au lecteur de s’immiscer directement dans la ville. De plus, cette dernière dont les fêtes et les ébats ont rythmé le séjour de Michel Ange, a pris possession son âme et ont rejailli sur ses chef-d ‘œuvres.
" On retrouvera les cinq bracelets d’argent autours de la cheville fine, l’épaule dorée et le grain de beauté à la base du cou dans un recoin de la chapelle Sixtine, quelques années plus tard (…)." Constantinople, régie par les ottomans, dits « les maîtres de la lumière »par Mathias Enard sera donc une source d’inspiration majeure pourcelui ci, comme pour son héros.

Au cœur d’une tempête historique et religieuse
Entre les guerres du pape Jules II, les massacres des juifs, l’ambition du frère de Bayezid vis-à-vis du trône ottoman, la situation politique de l’Europe et l’Orient se désagrège. En effet à l’arrivée de Michel-Ange à Constantinople, la ville et l’empire ont alors pour monarque le huitième sultan ottoman, Bayezid II, régissant autant les arts que son pays, qui décide d’égaler les puissances occidentales par la beauté de sa capitale, qui sera sublimée par la construction du pont de la Corne d’or, par Michel-Ange. C’est dans ce contexte politique que ce dernier intervient à Constantinople, créant ainsi une tension supplémentaire pour l’empire ottoman.
Celle-ci s’accompagne du fait que la religion était un sujet plutôt sensible à l’époque. En effet, certaines religions étaient prohibées en Occident, comme le judaïsme ou l’islam. Par conséquent, Mathias Enard a fait en sorte que la piété de l’artiste se trouve alors confrontée à celle des mahométans :
« Et Michel-Ange surmonte sa peur et son dégoût des choses musulmanes pour pénétrer [dans la mosquée] » (p. 36).

Mathias Enard, comme tous les auteurs, se différencie de ses pairs. Leurs enfances, leurs voyages, leurs éducations et bien plus encore les diférencieraient. Mais en plus de cette disparité universelle, Enard possède un style d'écriture particulier et une imagination débordante .Enard nous emporte alors dans un univers oriental plein de sentiments, de chaleur et de trahisons…

Johanna Muller et Geneviève Baumann (2de 4)

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