samedi 26 mars 2011

Parle leur de batailles, de rois et d'éléphants, un voyage féerique au pays du Grand-Turc


Parle leur de batailles, de rois et d'éléphants, un voyage féerique au pays du Grand-Turc
Avec Parle leur de batailles de rois et d'éléphants, Mathias Enard a fait le choix de raconter quelques mois méconnus de la vie de Michel-Ange. Quelques mois oubliés dont il ne reste que très peu de choses: seulement quelques lettres et plans à partir desquels l'auteur transporte son lecteur dans un voyage inoubliable entre histoire et poésie, réalité et fiction, nuit et jour. De ce voyage, on en retiendra surtout une atmosphère, celle d'un orient en construction sur lequel flotte un parfum d'épices et de rêve.
Michel-Ange a vécu 88 ans de 1475 à 1564. Nous lui connaissons de nombreux chef-d'œuvre dont les plus connus sont très certainement le David de Florence et le plafond de la Chapelle Sixtine.
De nombreux « chapitres » de sa vie nous sont connus comme sa jeunesse à Florence, son amitié émaillée de disputes avec le pape Jules II, ou encore la construction inachevé
e du tombeau de ce dernier.
Cependant, ce n'est pas cela qu'a choisi de raconter Mathias Enard: dans Parle leur de batailles, de rois et d'éléphants, il préfère évoquer un passage peu connu de la vie du peintre: son voyage en 1506 à Constantinople.
En 1506, Michel-Ange travaille déjà depuis quelques années sur
la construction du tombeau monumental de Jules II. Cependant, exaspéré par le comportement du pape, qui ne le traite pas comme il le voudrait et qui de plus est mauvais payeur, le sculpteur décide de quitter Rome. Il se réfugie alors dans sa ville natale, Florence, où il attend avec impatience et anxiété une lettre du souverain pontife qui tarde à venir. Au bout de quelques jours, il reçoit une lettre, mais du grand turc, qui l'invite à Constantinople pour la construction d'un pont au dessus de la Corne d'Or.
En 1506, cela fait aussi un peu plus de 50 ans que les ottomans occupent l'ex- capitale orthodoxe. Ainsi, plus qu'un voyage dans l'histoire, Mathias Enard nous emmène avec Michel-Ange dans un voyage entre deux mondes, dans une Europe partagée entre l'occident chrétien et l'orient musulman (ce qui est, encore aujourd'hui d'actualité). C'est sans doute ce voyage qui nous cueille et nous transporte dans cet univers particulier, plein de poésie. Mesihi, un poète ayant réellement existé, protégé du vizir Ali Pacha, que Michel-Ange rencontre à Constantinople
est en quelques sorte le symbole de cette poésie. À la page 94, Mathias Enard cite quelques uns de ses vers:

« Je ne cesse de désirer que lorsque mon désir
est satisfait, que ma bouche atteint
la lèvre rouge de mon amour,
où mon âme expire dans la douceur de son haleine. »

Le livre commence par cet extrait emprunté à Rudyard Kipling: « La nuit ne communique pas avec le jour. Elle y brûle ». Cette formule prend tout son sens à partir de la page 42, lorsque Michel-Ange aperçoit pour la première fois une danseuse, dont il ne sait pas très bien s'il s'agit d'une danseuse ou d'un danseur, et dont il tombe sous le charme. Sous le charme de ce corps parfait et c'est ce qui constitue avec la construction du pont, le deuxième pilier du livre. Cependant, assez vite, ce pont ne se sera plus qu'un prétexte pour un livre parlant d'amour et d'ivresse. C'est ainsi que tout le long du récit, la nuit sera le règne de l'imaginaire, du rêve et du fantasme matérialisés par la danseuse; et le jour ne sera qu'un passage par la réalité où l'on retrouve une certaine lucidité.
Ce n'est pas un livre que nous lirons pour la richesse de son histoire mais pour l'atmosphère mysté
rieuse et confuse se dégageant des nombreuses oppositions ressortant du livre et par la poésie omniprésente.
À chaque page, nous découvrons un peu plus le sculpteur, personnage atypique qui oscille entre le génie arrogant le jour et l'âme sensible envoutée par la vue d'une danseuse, la nuit.
Ce n'est cependant pas une biographie : tout au long du livre, Mathias Enard reste sur le fil entre petite histoire et grande Histoire; et Parle leur de batailles, de rois et d'éléphants apparaît finalement comme une fiction guidée par quelques éléments historiques.
Ni biographie, ni fiction, Mathias Enard a trouvé un style nouveau et original entremêlant dans une certaine magie réalité et fiction. L'ensemble de l'histoire est imprégnée de poésie, non seulement par la présence de quelques poèmes mais encore tout au long du livre avec une omniprésence très plaisante qui tient le lecteur en haleine jusqu'à la fin tragique.


Laurent Selinder, Claire Bouchereau, Lucas Soumier et Lucie Fourment (2de 4)

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