dimanche 27 mars 2011

La symbolique du pont ou la fusion de deux mondes






Critique Littéraire

La symbolique du pont ou la fusion de deux mondes


La critique littéraire que nous proposons est basée sur l’ouvrage de Mathias Enard (1972), Parle-leur de batailles de rois et d’éléphants, publié en 2010 aux éditions Actes Sud. Les influences orientales de l’écrivain, sa passion pour les cultures ottomanes et latines ainsi que pour les langues arabes, lui valent en 2010 le prix Goncourt des Lycéens, pour un roman basculant entre poésie fictive et réalité historique.

Le 13 mai 1506, l’artiste de légende et de grande renommée Michelangelo quitte la chaleur maternelle de son Italie natale, pour échapper à l’emprise du pape Jules II, et débarque sur les quais du Bosphore, miroitant sous les rayons ocres d’un soleil de plomb. Là, il se livre à l’ennemi et offre un ultime affront à son pays en déployant ses qualités de virtuose pour élaborer les plans d’un onirique pont surplombant la Corne d’or, à la demande même du sultan Bayazid de Constantinople, le Juste, le Pieux.

Au travers de son écrit, l’auteur met en valeur le thème du pont, cette fulgurante symbolique par laquelle il cherche à lier deux mondes, l’Orient et l’Occident, deux cultures mais également deux civilisations que tout oppose. Des rencontres improbables, la naissance de sentiments nouveaux, comme la découverte d’un monde inconnu et parfois incongru, nous plonge dans cet univers lyrique et touchant que Mathias Enard décrit avec volupté grâce au ciment de sa poésie, parallèle au pragmatisme de son récit.


Genèse d’un monde nouveau


A l’instar de la toile de Claude Monnet, le matin oriental tel une Impression Soleil Levant, met et éveil nos sens, et nous appelle au fil des mots de l’auteur, à écouter « le chant fraternel du muezzin en haut du minaret », tandis que nos papilles s’imprègnent de la saveur mielleuse des pâtisseries orientales gorgées de miel et d’arachides, de cannelle et de fleur d’oranger, plongées dans ce sirop sucré et doré. Envoutés par l’arôme piquant des épices à profusion, l’Orient nous ouvre ses grandes portes mordorées tandis qu’un soleil ambré s’élève à l’horizon révélant l’éclatante silhouette de la Basilique Sainte Sophie.

Et sur l’autre rive du fleuve paisible, le nébuleux Occident, si proche et si lointain, comme insaisissable, une sphère étrangère qu’un simple pont nous suffirait à relier pour créer l’osmose parfaite entre deux esprits, deux finesses, deux sociétés, la symbiose ambigüe de deux contradictions, pourtant évidente.

Mathias Enard cherche au travers de son récit à obtenir l’adhésion parfaite, par l’intermédiaire du sculpteur Florentin et de ses fines esquisses, entre l’art byzantin, l’intelligence italienne, les proportions et les perspectives.


Rencontres entre Orient et Occident


Le pont que doit bâtir Michelangelo n’est pas seulement un lien qui devrait unir deux cultures et qui « fabriquera une ville impériale » mais aussi une excuse, un prétexte pour entretenir des relations improbables entre mondes et personnalités opposées. Ainsi le peintre souhaite se venger d’un pape qui a selon lui osé rejeter son talent. Le virtuose se prend souvent à penser à la réaction que pourrait avoir Jules II si il apprenait son entrevue avec Le Grand Turc. « Cette pensée lui instille un mélange assez plaisant d’excitation et de terreur. »

Michelangelo fait également la connaissance d’un artiste, Mehisi, avec qui il entretient une relation singulière. Le poète secrétaire se soumet à la prestance absolue de Michel-Ange, jusqu'à le sauver d'une destinée mortelle dont le sculpteur ne nourrissait aucuns soupçons.

Survint alors une danseuse inconnue, orpheline, chassée. Michelangelo cherche l'amour. Il le trouve. Il s'offre intimement à la belle Andalouse. Elle lui parle à la lumière d'une chandelle, lui conte des histoires, son histoire. Dans la pénombre, sa voix chante, menace, s'adoucit. Les deux amants ne se parlent pourtant pas. Cette liaison fusionnelle qu'entretiennent le maître de la sculpture et la déesse du chant semble fugace, subtile.


De l’idée à la plume


Si Mathias Enard par la fétiche thématique du pont se plaît à forcer les pièces du puzzle pour accorder l’inaccordable, il n’omet néanmoins pas de nous plonger dans les méandres de l’esprit de l’habile maestro, afin de nous faire découvrir le cheminement de la pensée vers le crayon, de l’inspiration vers le croquis. Michel-Ange s’alimente d'une certaine manière de Constantinople, ville méconnue, gouvernée par l'ennemi du peuple florentin. Cette cité, à l'image d'une femme insurgée mais douce apprend à l'artiste à respirer, aimer, souffrir, vivre. Il apprécie flâner dans les galeries sombres, les marchés locaux, les boutiques suffocantes. Le sculpteur s'empreigne de l'essence de la ville, s'approprie son âme qui s'ouvre à lui toute entière. Ca n'est pas un simple pont qu'on lui ordonne d'ériger, mais la fondation aérienne et vertigineuse d'une cité, le point de rencontre et d'échange de toute une civilisation. Ainsi nous voyageons au travers de la futur Istanbul, dans les souks, les tavernes et les marchés noirs à la recherche de cette infime révélation qui fera germer l’idée.


Mathias Enard réussit, par l’écriture d’un récit épistolaire à la fin troublante, à pénétrer le mystère d’un évènement qui s’est déroulé il y a plus de cinq siècles, il transgresse les règles pour rendre vivant haletant et délectable ce mythe historique, usant et abusant de la thématique d’un pont inexistant, imaginaire, rêvé. Il manie avec une sensibilité élégante, le lyrisme des mots pour nous offrir un petit bijou de sensualité.

Parce que nous ne sommes plus des enfants, Mathias Enard nous parle de batailles, de rois, d’éléphants, mais également d’amour et des choses semblables.

Boivin Laure, Lestrat Marion, Oster Auriane (2de 11)

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