Parle-leur de jalousie, d’amour et de fascination… Parle-leur de passions et de conspirations… Parle-leur de poésie, d’art et d’inspiration… « Parle-leur de batailles et de rois, de chevaux, de diables, d’éléphants et d’anges », comme déjà l’écrivait Rudyard Kipling dans Hasard de la vie, en 1928.
Telle est la promesse que cache ce titre aux tonalités orientales. Déjà salué en 2009 pour son roman Zone par les prix de Décembre et du livre Inter, Mathias Enard nous entraîne dans ce nouveau roman, paru aux éditions Actes Sud et récompensé en 2010 par le prix Goncourt des lycéens, dans un univers qui lui est cher. Par ses études de la langue et de la culture persane et arabe, par ses voyages au Moyen-Orient et ses recherches universitaires sur le monde iranien, il recrée dans ce dernier ouvrage toute la splendeur de l’Orient qui illumine le roman.
L’histoire du travail d’un artiste
L’auteur narre avec passion et réalisme l'histoire d'un artiste au cœur froid. Son projet de construction d’un pont est un véritable défi pour surpasser les plus grands artistes de son époque, au prix de trahisons, de rivalité et d’amour. Michel-Ange, sculpteur, peintre, artiste, délaisse le tombeau de Jules II, bravant le courroux du pape guerrier, au delà des pays, au delà des religions. Le 17 avril 1506, il part rejoindre Bajazet au pays des milles et une nuits pour relier et sublimer les deux rives de la Corne d’Or d’un inoubliable monument. Il compte ainsi prouver son talent en surpassant le génie de là Léonard de Vinci où il avait échoué quelques années auparavant. Cherchant l’inspiration lors de visites et rencontres avec le monde oriental, Michel-Ange se laisse imprégner de cette riche culture si différente de la sienne et envoûter par les charmes d’une mystérieuse danseuse. Mais de nombreuses difficultés ralentiront son cheminement vers l’achèvement de son œuvre, qu’il quittera inachevée, imparfaite, et qui finira détruite par les méfaits de la nature. Près de cinq siècles plus tard, Mathias Enard nous fait part d'un fait historique resté dans l’ombre, retraçant ainsi une facette méconnue de l’artiste.
Rencontre de l’histoire et de la poésie
Une mélancolique et touchante poésie se dégage de l’écriture, mêlant l’amour, le chant et les souvenirs aux beautés du monde oriental. C'est une histoire de la nuit, la beauté des mots disparaissant avec le soleil, ne laissant qu'un vague souvenir, un plaisir lointain, nuit oubliée... La poésie enveloppe d’un brouillard onirique les faits bruts de l’histoire. A la manière d’une biographie de Michel-Ange, le roman est ponctué de dates, dates de l'Histoire que personne n'a pris le temps de connaître. Mathias Enard nous fait découvrir avec douceur et passion cette période de la vie de l’artiste, un temps oublié, inconnu ou presque, relatant les faits comme s'il se trouvait aux côtés du sculpteur. Ses sources d’inspiration, ses moments de doutes, de faiblesse, ses colères soudaines et ses choix, douloureux et irréversibles sont couchés à jamais sur le papier. Et Michel-Ange est là, dans toute son humanité, dans toute sa réalité, au cœur de l’histoire : ces lettres qu’il a écrites à ses frères, toutes ces petites choses que dans son carnet il consignait, réapparaissent et cinq cents ans plus tard nous les lisons, émus de redécouvrir, comme pour la première fois, un artiste si célèbre. Mathias Enard a su manier les genres, dosant avec justesse les passages poétiques, narratifs et réalistes, mêlant romanesque et éléments biographiques.
Un témoignage culturel haut en couleur
Vue de Sainte-SophieRouge, orange, jaune, toutes ces tonalités chaudes nous transportent dès les premières pages dans l’atmosphère envoûtante de Constantinople. Couleurs de l'Orient, du soleil couchant, de la chaleur, mais aussi de la violence, de la passion, de la mort, du sang. Mais l’Orient, c’est aussi un univers plus sombre, plus feutré, plus discret, un profond bleu nuit. Couleur du ciel nocturne d’Orient, que l’on imagine parsemé d’étoiles brillantes. Nuits sans sommeil, de travail pour Michel-Ange, d'alcool et d'opium pour Mesihi, poète ottoman talentueux et débauché. A la lecture, les paysages orientaux s’imposent à nos yeux. L’on découvre avec une fascination et un éblouissement égal à celui de Michel-Ange, la merveilleuse Sainte-Sophie, l’on imagine l’appel du muezzin qui invite à la prière du haut des majestueux minarets. Un artiste charmé par l’éclat de la célèbre mosquée et les merveilles du monde ottoman au-delà des différences culturelles, l’art dépassant les réticences et l’intolérance religieuses si présentes au XVIème siècle.
Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants est une invitation au voyage, à la découverte de l’art et de l’histoire à travers une autre culture. L’écriture poétique, limpide, la justesse de l’expression des sentiments donnent vie à un Michel-Ange loin de la Chapelle Sixtine et du David, un Michel-Ange qui doute, échoue, aime, vit. Une petite histoire dans la grande Histoire qui a enrichi l’artiste et qui fait que jamais plus, nous ne verrons les œuvres de Michel-Ange du même œil. Pour reprendre les derniers mots de Michel-Ange en quittant Constantinople, l’artiste ne cherche-t-il pas à « Apparaître, poindre, briller. Consteller, scintiller » pour ne jamais s’éteindre.
Aline Pinçon, Claire Campagnolle, Manon Radiguet et Mathilde Roullot (2°11)
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