dimanche 6 février 2011

C'est la version raccourcie d'un article critique écrit par Vincent Jolit

13 mai 1506. Laissant derrière lui Jules II, pape guerrier, orgueilleux et mauvais payeur, ainsi que l'oeuvre qu'il a entamé pour ce dernier à Rome, Michelangelo Buonarroti débarque à Constantinople invité par Bajazet le Juste. Le sultan propose au sculteur de génie une somme faramineuse pour qu'il lui dessine un pont reliant les deux rives du Bosphore. Monumental et enrichissant projet que Michel Ange accepte afin de fuir l'Italie et ses tracas, mais aussi par défi: avant lui, le dessin de Léonard de Vinci a été refusé par le sultan...

Au-delà du plaisir que le lecteur, amateur d'art ou non, peut ressentir à la découverte des aventures stambouliotes de Michel-Ange, Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants interpelle le mythe, l'imaginaire et le fantasme orientaliste à la manière du Salammbô de Flaubert. Le voyage, les riches et équilibrées descriptions, le caravansérail, les danses androgynes, tout concourt au ravissement des sens. Et le trouble que Michel-Ange ressent face à ces beautés, proche, par procuration, de celui qui gagne le lecteur, semble être le miroir du plaisir que fut l'écriture de ce texte par son auteur. En cela, le roman de Mathias Ennard est déjà une réussite.

Mais, outre les indications apportées, ou en tout cas suggérées, en matière d'Histoire de l'Art (telle l'éxecution qui influença Michel-Ange pour sa scène de David et Goliath ; telle ornementation que l'on retrouvera "dans un recoin de la chapelle Sixtine quelques années plus tard"), Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants est un livre aux multiples lectures, un roman à plusieurs visages. Le lecteur est dans un premier temps frappé par le jeu des oppositions qui s'y dévloppe. Des oppositions qui tiraillent Michel-Ange dans ses choix: pape/sultan, chrétien/musulman, orient/occident, homosexualité/hétérosexualité... De fait, l'édification de ce pont apparaît dans le récit comme la métaphorique solution pouvant atténuer les frictions qui hantent le sculpteur, tandis qu'elle semble être chez l'auteur un utopique désir de lier deux mondes antinomiques.

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